Pourquoi le capitaliste a-t-il raison de croire qu’il est un travailleur ?


mythe et parabole | Conscience Citoyenne ResponsableDans sa vie de tous les jours,le capitaliste, celui qui emploie des forces de travail et les associe à des moyens de production, a vraiment l’impression que c’est son activité qui est à l’origine du profit qu’il fait. Il sait très bien aussi que le travailleur lui apporte quelque chose en plus, puisque quand il parvient à le faire travailler plus ou plus vite, il reçoit plus. Mais ce n’est pas bien différent avec une machine, s’il arrive à la faire tourner non-stop ou plus vite sans qu’elle s’abîme trop, il gagnera plus, et donc finalement, le plus raisonnable, c’est de penser que c’est son habileté à extraire plus de surtravail ou à économiser sur les moyens de production qui génère plus de profit. Tout le porte donc à croire qu’il est un travailleur. Sans compter qu’aujourd’hui, ceux qui remplissent la fonction de chef d’entreprise ou les fonctions de direction sont eux-mêmes des salariés.

De son point de vue, celui qui fonctionne comme capitaliste voit qu’il investit de l’argent, une partie dans des moyens de production, des machines, des matières premières, et aussi dans des « moyens humains », pour lui, dans d’autres moyens de production. Il y a une partie qui doit aussi être soustraite, toute celle qui relève de la logistique de gestion d’acheminement de la marchandise jusqu’à son acheteur ou son consommateur. Cela aussi compte comme ce qui doit être avancé avant d’avoir acheté sa marchandise. L’ensemble de la formule de production d’une marchandise se présente de cette manière pour le capitaliste :

M’ = Prix de vente – (dépenses mat. premières + salaires + transport + publicité + sécurité + etc.)

Pour lui, réduire l’un ou l’autre des facteurs dans la parenthèse ne fait aucune différence, sinon peut-être dans les moyens utilisés : trouver un accord favorable avec un gouvernement pour obtenir des offres plus intéressantes pour les matières premières, mater une grève en payant des nervis, utiliser un autre support publicitaire, etc. La diversité des moyens obscurcit aussi d’autant les différences qui peuvent exister entre les différents facteurs sur lesquels on agit.

En tant que « gestionnaire en chef », le capital a accordé au capitaliste une « primauté de ponction », un droit qui lui a été conféré en raison de la « propriété privée ». Ce privilège, le capital tend à le réduire au maximum, dans l’idéal, ils seront bien peu à en bénéficier, cela limite son taux de valorisation. Mais c’est seulement si c’est assez désirable que certains peuvent se mettre totalement à son service, et s’épuiser en gagnant plus que les autres. Les capitalistes sont à son service. Ce sont ses travailleurs de choix.

Mais le capitaliste n’est pas seul, il rencontre tout d’abord d’autres capitalistes qui se trouvent être ses concurrents. Il se bagarre, il tente tout pour sauver sa boîte ; il travaille d’arrache-pied… pour le capital. Il doit survivre dans un univers hostile, et parfois même, comme saisi d’une folie irrationnelle, invoquant d’étranges mots à la puissance apparemment magique, il défend les forces vivantes qu’il emploie, agit pour eux, pour leur emploi, leur famille, leur dignité, par solidarité. Mais son comportement, tout ce qu’il fait, est frappé du sceau de la duplicité. Il est condamné à ne jamais être sûr de ne servir autre chose que la meilleure valorisation possible du capital, de la valeur. Il est condamné à douter pour toujours qu’il se sert lui-même, et il se répète donc comme un mantra : je suis égoïste, je ne pense qu’à moi, j’écrase les autres. Mais la mélodie qui accompagne ce mantra illusoire est celle de la négation de soi, la mélodie de la soumission à des impératifs auxquels il faut se soumettre, qu’on le veuille ou non. La volonté du capitaliste est niée, et pour ne pas paraître se soumettre, il feint la maîtrise et le contrôle. Il travaille sur lui-même pour fonctionner comme capital. Parce qu’il se considère comme travailleur, il se répète travailler pour lui-même aussi.

Dans l’immédiat, le capitaliste partage certains intérêts communs avec d’autres capitalistes, mais est en lutte avec d’autres. Il ne lui semble pas qu’ils constituent une classe unie. Parfois même, il y a besoin d’un arbitre qui pense à plus long terme que leur chamailleries individuelles de circonstances, l’État. Ce capitaliste « en idée » comme disait Engels, rend possible la valorisation en mettant à disposition l’arsenal juridique sous-jacent aux échanges, la garantie de leur réalisation logistique (transport, sécurité, etc.), le défend contre les attaques du prolétariat, comme des intempéries. Les capitalistes ont de manière passagère une conscience de classe, qui parfois, les amène à agir en tant que classe, et ils agissent souvent en tant que classe contre leurs intérêts immédiats, comme des travailleurs en grève pour de meilleurs salaires.

Le capitaliste, tout travailleur qu’il se pense être n’est pas pour autant un camarade. Pas plus que ne l’est le surveillant d’atelier, le directeur de département ou le flic. Ils travaillent avec ferveur pour le capital, en s’opposant de toutes les manières possibles à ceux qui sont réellement exploités au sens capitaliste : ceux dont on extrait de la plus-value. Celui qui fonctionne comme capitaliste c’est celui qui répond efficacement aux impératifs de valorisation du capital : celui qui pressurise les conditions de travail, surveille, investit, est prévoyant, vigilant, mais qui sait saisir l’occasion, etc. Eux-mêmes peuvent vivre dans des conditions de travail déplorables. Parce qu’ils travaillent aussi. Ils travaillent pour faire survivre et servir le capital, alors que nous travaillons pour survivre et faire dépérir le capital.

En tant que groupes, nous nous faisons face comme des classes. Des groupes qui se définissent selon les fins qu’ils visent : survivre en étant contre ou survivre en servant le capital. Le capitaliste a tort de croire qu’il travaille : il survit en servant au mieux son employeur universel, la valeur.

Le capitaliste est donc solidaire, dans l’idée, il est internationaliste, avec certaines réserves, il est conscient de la misère sur laquelle doit nécessairement reposer son activité, s’il peut y faire quelque chose. Mais au mieux, il est nationaliste, solidaire avec l’intérêt du capital, et ignorant de toutes les conséquences humaines, sociales et environnementales que cela peut avoir. Cela l’encombre. Nous l’encombrons. Si tout porte le capitaliste à croire qu’il est un travailleur, nous savons, nous, qu’il n’est qu’un serviteur qui remplit des fonctions, et qu’il est récompensé pour cela.