Matériaux pour une réflexion sur les distinctions entre réalisme et nominalisme chez Marx


Matériaux pour une réflexion sur les distinctions entre réalisme et nominalisme chez Marx

Enjeux

S’interroger sur le rapport entre nominalisme et réalisme chez Marx pose la question du statut de la connaissance, des concepts développés par ce dernier, autant que de la méthode de déconstruction des concepts inopérants. Toute construction scientifique est en même temps une critique radicale d’autres théories de son domaine. Il ne peut pas en être autrement, et c’est ce que Marx nous signifie sans cesse, pour culminer dans le titre et le sous-titre : « Le Capital. Critique de l’économie politique. ». Tout d’abord, cette conception chez Marx est le résultat d’un développement de sa pensée qui sera passée par des positions qui amènent précision à ce qui est critiqué et construit ainsi. Ensuite, il est nécessaire de passer en revue les diverses positions qu’il a soutenues concernant le rapport entre la science et le réel, parce qu’elles comportent toutes des pièges qu’il a su déjouer et qui nous sont aujourd’hui tendus quotidiennement.

Le point de départ de Marx dans sa critique de l’idéologie (1843-1846), puis de sa critique de l’économie politique est celui de la critique des catégories développées par les idéologues autant en termes de « théorie critique » (Feuerbach, critique critique, etc.) que de théorie économique (les catégories bourgeoises de l’économie politique).

Il paraît tout aussi évident que la démarche de déconstruction mise en œuvre par Marx contre les idéologues bourgeois part de présupposés nominalistes et applique le rasoir d’Occam permettant d’évacuer les concepts inutiles. Pourtant, dans le Capital, la démarche n’est plus la même.

La critique de la valeur condamne dans la NML, et surtout chez Heinrich, une conception nominaliste de la science1. Ceci aurait pour corollaire chez Heinrich de dévoyer le caractère de marchandise à la monnaie.

Backhaus et Reichelt (1991) constatent que Heinrich identifie chez Marx le terme d’abstraction à un processus, et suit en cela une conception nominaliste.

Pour Backhaus, il faut développer une théorie de l’argent non-nominaliste, ceci permettrait de rendre compte de la démonétarisation de l’or.

Barot :

Le Capital II ne mobilise aucune sorte de dialectique explicite, et au contraire, la protomodélisation de la circulation du capital et les schémas de reproduction en particulier semblent bien plus compatibles que d’autres sections du Capital avec des approches classiques (théories de l’équilibre ou de la croissance), par des non marxistes aussi, comme la littérature sur le sujet le prouve aisément d’ailleurs2.

Cela semblerait même tout bonnement valider plus avant encore, dans le giron marxiste, une lecture radicalement anti-dialectique du Capital : ainsi la lecture structuraliste de l’affaire par Balibar dans sa section de Lire le capital consacrée au problème de la reproduction). En réalité la question qui se pose alors est celle des façons dont une démarche hypothético-déductive ou apparentée, et à quel stade d’élaboration, à quel niveau d’abstraction, selon quelles contraintes, peut s’insérer dans une stratégie d’ensemble de nature dialectique. M. Godelier1 parlait à l’époque de la méthode de Marx comme d’une combinaison d’une méthode « hypothético-déductive » et d’une méthode « dialectique », notamment au Livre 22. 3

D’abord, parler de « modèle » est stricto sensu anachronique. Ensuite il y a à peu près autant de définitions que de théoriciens, dans chaque discipline, et encore plus d’hétérogénéité selon que l’on varie les disciplines. En gros c’est la condensation rigoureuse d’une théorie, qui prend la forme de l’énonciation d’une série de concepts fondamentaux et de leurs définitions, les plus univoques et précises possibles, et de relations existant entre les objets désignés par ces concepts. Ces relations sont susceptibles de formalisation au travers de fonctions et de variables, puis éventuellement de quantification

Un modèle est en ce sens toujours abstrait, il sélectionne des grandeurs pertinentes, en occulte d’autres, laisse de côté tel ou tel type de perturbations, etc. Plus il est abstrait, plus il est maniable, mais plus il est déconnecté du réel. A l’inverse, plus il cherche à coller au réel, plus il se complexifie. Ce qui fait osciller entre deux extrêmes également problématiques. (1) le risque de sous-détermination, c’est-à-dire de l’existence de plusieurs modèles éventuellement incompatibles entre eux, mais également compatibles avec les données disponibles. (2) Le risque inverse de la confusion entre la réalité et son modèle, de la surdétermination du réel sur lequel on plaque brutalement une « ontologie » factice. Cette dimension performative est à l’œuvre dans les modèles du management et des « indicateurs de performance » qui façonnent le réel bien plus qu’ils ne la « décrivent ».

Cadre : Définitions

Le débat entre nominalisme et réalisme remonte à la réception d’Aristote par Victor Cousin en France. Il porte sur  : 1) le statut des expressions d’individus (nom propre ou variable), mais sur ce point réalistes et nominalistes s’accordent sur l’existence d’un « réel » au-delà de la conscience, 2) le statut ontologique du référent des expressions prédicatives et généralisantes. Pour les réalistes, les entités ou substances appartiennent à un univers concret ou abstrait. Les nominalistes estiment eux que les prédications généralisantes sont des opérations sur les individus, elles ne désignent aucun objet ou substance de l’univers concret ou abstrait. Ainsi, les concepts sont des conventions et leur référents ne sont pas des substances, contrairement à ce que soutiennent les réalistes.

Une position ontologique et une orientation méthodologique

« Il se trouve que le nominalisme est un élément primordial chez les matérialistes anglais, comme il est, en général, la première expression du matérialisme. »3

La méthode d’analyse mise en œuvre par Marx dans sa critique de Hegel, puis de la Critique critique dans la Sainte Famille est indéniablement nominaliste. Mais nous savons que la connaissance que Marx a du nominalisme médiéval n’est qu’une connaissance indirecte, qui lui vient par l’intermédiaire des philosophes anglais. Le résumé de l’histoire du matérialisme que fait Marx dans la Sainte Famille est en fait un résumé du livre de Charles Renouvier, Manuel de philosophie moderne.

Denis Collin inscrit la démarche de Marx dans celle des sciences en général qui ont un parti pris réductionniste en ce qu’elles ramènent le plus complexe à ses composants les plus simples. Il en fait une caractéristique de la pensée de Marx :

« La réduction […] s’attaque non seulement aux phénomènes observables directement mais aussi aux abstractions par lesquels ils sont pensés. Entamée dans La Sainte Famille, cette destruction de toutes les abstractions marque l’oeuvre de Marx de bout en bout. »4

Il précise que pour Marx cette démarche n’est pas seulement méthodologique, mais comporte aussi une dimension philosophique :

« …la réduction pratiquée dans les sciences de la nature n’a pas un statut ontologique, mais seulement méthodologique, la réduction chez Marx est censée donner accès à la réalité ultime, qui est celle de l’individu vivant dont tout part et qui ne peut pas être à son tour réduit à ses composantes physiologiques, psychologiques ou sociales. Et c’est en ce sens que Marx pose des thèses philosophiques et ressortit à un traitement philosophique et non seulement épistémologique. »5

Ces rapports n’existent pas en dehors et au-delà de l’homme concret. Ces expressions ne nomment pas des substances, mais bien des rapports : « Dans le langage, tout rapport ne peut s’exprimer que sous forme de concept » (IA, 399).

Et c’est pour cela que Marx pourra produire des objets théoriques déterminés dans une pratique de ce qu’il nomme « l’abstraction raisonnée ». Denis Collin remarque :

« Cependant l’abstraction raisonnée dans l’analyse du mode de production capitaliste pur n’a plus le même statut. Elle est le moyen de dépouiller la représentation commune de la réalité de toutes ses surcharges idéologiques. »6

Ainsi, toutes les expressions générales ou concepts ne nomment pas des substances mais des rapports entre individus concrets. Il est évident ainsi qu’accorder une réalité substantielle à des concepts est synonyme de métaphysique. C’est pourquoi « le nominalisme de Marx est l’arme qui permet de dévoiler l’essence réelle des entités nommées société, classes, Etat, etc. Sa démarche se fonde sur le refus de faire des « sujets collectifs » des sujets réels, elle refuse de donner une réalité autre que pensée aux « substances secondes ». »7

Manuscrits de 1844

Petit hic cependant dans les Manuscrits de 1844 bien sûr, où avec sa théorie de l’être humain « générique », Marx « rétablit les universaux dans toute leur dignité en faisant de la nature une substance universelle ». Conception qu’il hérite de Feuerbach et non de Hegel, Feuerbach ayant remis l’être humain, l’être humain générique et non les individus au centre.

La démarche que suit Marx consiste, à partir de L’Idéologie allemande, à donner une explication de la genèse des abstractions, à les ramener aux individus et à la manière dont ils produisent.

L’exemple du capital :

Parmi les différentes catégories de la critique de l’économie politique, la catégorie économique « capital » permet particulièrement bien de saisir la nature des objets conceptuels chez Marx. Contrairement à ce qu’affirme Jon Elster8, le capital ne joue pas le rôle de sujet collectif, car depuis sa polémique avec Proudhon, Marx répète sans cesse que le capital n’est pas une chose mais un rapport social, « que les catégories économiques ne sont que l’expression théorique des rapports sociaux, lesquels se rapportent à des rapports entre de nombreux individus. Or ce rapport social, ce sont les individus qui le constituent et il n’existe pas en dehors d’eux. »9

A partir du moment où Marx critique Hegel, mais encore sur la même base que celle de Feuerbach :

« Marx geht nun von einer in sich strukturierten Wirklichkeit aus, einem komplexen Verhältnis von Verhältnissen, das sich gerade nicht durch Rekurs auf die Rationalität der Individuen verstehen läßt. Bei diesen Verhältnissen handelt es sich nicht um nominalistische Abstraktionen, bloße Gattungsbegriffe, sondern um reale Allgemeinheiten. »10

Dans cette même direction, Marx opère une critique de l’individualisme dans les théories sociales. Il s’agit pour Marx de critiquer l’idée selon laquelle il serait possible de comprendre la société dans son ensemble en partant des individus. On retrouve l’illusion par exemple d’expliquer l’économie à partir de l’échange qui se fait entre un marchand et un acheteur. C’est une rupture épistémologique entre le micro et le macro qui n’est attestée que dans l’Introduction de 1857.

Le réalisme du Capital

Denis Collin pose la question : « Si Marx est nominaliste, pourquoi ne s’en tient-il pas, dans la théorie économique, aux prix ? La théorie de la valeur n’est-elle pas au contraire la marque d’une épistémologie réaliste puisque la réalité phénoménale y est conçue simplement comme manifestation particulière d’une essence universelle ? » Malheureusement, il n’y répondra pas.

A partir des réflexions sur la méthode de l’introduction de 1857, Marx ne critique plus Hegel en partant d’une critique nominaliste. La connaissance scientifique a besoin d’un niveau de théorie non-empirique, elle a besoin d’opérer avec des concepts qui n’ont aucun corrélat empirique, partir de l’abstraction et avoir les abstractions réelles pour objet11. Ainsi, Heinrich remarque que Marx critique Hegel non pas parce qu’il commence par des abstractions, mais pour la manière dont il les utilise.

Critique de l’anthropologisme

En 1843-44 dans l’Introduction à la Contribution, on trouve une critique de l’anthropologisme de Feuerbach, une critique de la représentation d’une essence humaine qui serait inhérente aux individus.

En 1844, Marx commencera à se consacrer à un nouveau domaine : l’économie. Ce domaine il l’aborde avec les instruments théoriques de l’anthropologie de Feuerbach. Ce faisant, la critique qu’il entreprendra de la science économique – à ce moment encore dénommée Nationalökonomie – sera analogue à celle que Feuerbach avait faite de la religion : il ne s’agit pas de se cantonner à une critique de théories isolées, mais il s’agit de faire une critique de la science économique en tant que science. Et plus précisément, suivant la terminologie feuerbachienne, de même que la religion était une forme de l’aliénation humaine, Marx comprend la science économique comme manifestation de la séparation entre l’homme et son essence12.

Le sensualisme de F permettait de sortir de cette impasse : homme pas que penseur-théorique mais sensible et doué d’émotion. Maintenant, aliénation peut être saisie comme celle de l’homme dans son entier, pas seulement le domaine de la pensée mais aussi l’existence matérielle. Les prolétaires sont ainsi en mesure de ressentir l’aliénation et sur la base de leur ressenti, de se révolter contre leurs conditions. Donc le prolétariat est conçu comme classe qui souffre13.

Pour Heinrich, il y a toujours la même structure chez Marx : « la réalité est mesurée et critiquée par rapport à un être/essence ? Qui se tient en face d’elle. »

Dans une lettre à Arnold Ruge, Marx explicite une position qui est encore idéaliste. Mais s’il parle alors de réforme de la conscience, avec une conception idéaliste de celle-ci (voir lettre à Rüge, I, 345, septembre 1843), il n’en sera pas question dans les articles qu’il fait paraître, De la question juive et l’introduction.

Dans cette lettre : ce que nous avons à réaliser c’est « la critique radicale de tout l’ordre existant, radicale en ce sens qu’elle n’a pas peur de ses propres résultats, pas plus que des conflits avec les puissances établies » (Corr EdS, p.298).

« Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires avec un principe nouveau : voici la vérité, à genoux devant elle ! Nous apportons au monde les principes que le monde a lui-même développés dans son sein. Nous ne lui disons pas : laisse là tes combats, ce sont des fadaises ; nous allons te crier le vrai mot d’ordre du combat. Nous lui montrons seulement pourquoi il combat exactement, et la conscience de lui-même est une chose qu’il devra acquérir, qu’il le veuille ou non.

La réforme de la conscience consiste simplement à donner au monde la conscience de lui-même, à le tirer du sommeil où il rêve de lui-même, à lui expliquer ses propres actes. Tout ce que nous visons ne peut rien être d’autre que de réduire, comme F l’a déjà fait avec sa critique de la religion, les questions religieuses et politiques à leur forme humaine et consciente d’elle-même.

Il nous faut don prendre pour devise : réforme de la conscience, on par les dogmes, mais par l’analyse de la conscience mythifiée et obscure à elle-même, qu’elle apparaisse sous une forme religieuse ou politique.

…Pour se faire remettre ses péchés, l’Humanité n’a besoin que de les appeler enfin par leur nom. »

Critique empiriste-nominaliste : l’intuition est source de la connaissance

En termes de statut des expressions d’individus (point sur lequel réalistes et nominalistes s’accordent) sur l’existence du « réel » au-delà de la conscience, la question de la source de la connaissance est centrale. Tout en suivant la critique fondamentale de Hegel, Marx suit en 1843 cependant encore le programme feuerbachien de renversement entre le sujet et le prédicat (MEW I, p.224). Mais il est nécessaire d’observer qu’avec cette formule, il ne s’agit pas seulement d’une critique de l’autonomisation idéaliste des idées chez Hegel, mais d’une critique empiriste-nominaliste de l’usage des abstractions : l’intuition (Anschauung) est la source première de connaissance.

Feuerbach et Hegel partent tous deux de l’opposition entre expérience sensible et pensée. La réalité sensible ne contient que de l’unique, qui dès qu’il peut être dit peut prétendre au général, qui lui n’existe que dans la pensée. Alors que Hegel en conclut que seule le général idéel est véritablement réel. Feuerbach en conclut que les abstractions, autant qu’elles manquent ce qui est sensible, sont l’expression de l’aliénation.

La Sainte Famille

C’est une critique nominaliste que poussera à son apogée Marx dans la Sainte Famille une grosse année plus tard. Dans ce texte, Denis Collin voit réellement à l’oeuvre l’application d’un « rasoir d’Occam » nominaliste, visant une destruction méthodique et en bonne et dûe forme des concepts vides et « mystérieux » de la critique critique. Il s’agit pour Marx alors de ramener toutes les productions de ses contemporains de la critique critique à leur position matérielle, faisant de leur idées simplement l’expression d’une réalité sociale qui est celle que Bourdieu qualifierait de « défense de champ ».

Marx et Feuerbach substituent à la pensée spéculative de Hegel un empirisme qui n’est pas moins spéculatif. Ainsi, la réforme de la philosophie de F se distinguait de la philosophie de la conscience de soi de Bauer. A la place de l’abstraite conscience de soi, il y a l’homme. Pareil pour Marx, dans son inversion entre prédicat et sujet, selon la méthode de F, il trouve le « véritable sujet » dont il faut partir, l’homme. L’homme est maintenant pour Marx, l’être à partir duquel la réalité est mesurée. L’aliénation de l’homme de son être générique se manifeste pour Marx dans la séparation et l’autonomisation de la sphère politique d’avec sa vie sociale véritable. La séparation entre l’État et la société bourgeoise correspond à une séparation entre le citoyen politique et sa propre réalité empirique. L’homme véritable est donc « l’homme privé comme on le trouve dans l’actuelle constitution de l’Etat ».

L’État n’est plus la réalisation de la liberté humaine (Hegel) mais « la plus haute réalité sociale de l’homme », « l’objectivation de l’essence humaine » (I, 240-241). Marx en conclut que la démocratie est la seule forme d’État qui correspond à cette détermination de l’État (voir I, 233). Mais jusque-là, l’existence véritable de l’État n’est que la forme religieuse de sa véritable essence (I, 233). Comme cette aliénation est fondamentalement politique elle doit être combattue politiquement, par la « vraie démocratie ». Pour Kervegan, cette solution politique aux contradictions de la politique moderne (la démocratie comme paradigme du vivre-ensemble) sera abandonnée par Marx dans les écrits ultérieurs pour considérer « la société civile bourgeoise comme le lieu du véritable politique » (p.337). De la solution démocratique nous aboutirons à l’émancipation humaine comprise comme retour complet de l’homme à l’homme social, de la séparation de l’homme de son être générique.

Dans ce manuscrit, Marx est toujours pris dans l’opposition entre essence et existence, idée et réalité, la critique de l’inversion du sujet et du prédicat se déplace toujours sur le terrain de la philosophie de l’essence. Arndt, 1985, la rupture avec la spéculation est arrivée à maturité en 1843, mais en fait il se contredit, parce qu’il affirme que dans les manuscrits de 44, il y a encore des présuppositions spéculatives dans la critique de la spéculation. C’est donc, en 1843, encore une rupture toute relative.

En effet, l’essence est maintenant « l’essence générique de l’homme », et la réalité qui lui fait face est saisie comme objectivation véritable ou aliénée. Ainsi, la critique faite à Hegel ne repose pas sur son caractère de philosophie de l’essence mais sur la manière dont il construit cette philosophie de l’essence.

Nouveau mode de la critique : plus mettre à jour les contradictions mais elle explique sa genèse, sa nécessité (I, 296).

On le voit donc, il ne s’agit pas forcément dans cet écrit d’un moment de dépassement de Feuerbach, puisqu’il conserve la structure discursive de ce dernier, mais c’est bien un glissement qui s’opère en termes de nature de la critique, ce n’est plus une critique de la religion, mais bien de la société, ce qui implique non pas une révolution de la ou des consciences, mais bien une révolution radicale (des besoins radicaux).

Critique de l’empirisme (1857)

Mais comme le montrera l’intro de 1857, Marx n’en restera pas à ses positions empiristes-nominalistes. Dans ce texte Marx en arrive à une critique de l’empirisme, de l’idée selon laquelle la réalité empirique serait immédiatement transparente, et qu’elle serait ainsi la base de toute théorie. Il ne s’agit pas de refuser toute enquête empirique, mais de prendre conscience du fait que l’empirie capitaliste est traversée de renversements et de fétichismes. Cela implique qu’une recherche empirique doit nécessairement reposer sur une critique des catégories qui sont issues de cette empirie14. Cette rupture est seulement attestée dans l’Introduction de 1857.

Références : GEME : p. 47-55, MEW, S. 631-639.

L’individualisme

Ce qu’on peut identifier comme une critique de l’individualisme dans les théories sociales correspond à l’idée qu’il n’est pas possible de comprendre la société en partant des individus. On peut parler d’un individualisme chez Marx dans la mesure où la société est conçue comme objectivation d’une essence immanente aux individus.

Petite biblio :

Débat entre Jean-Guy Meunier et François Tournier (« Sur le matérialisme du jeune Marx (réponse à François Tournier) », Philosophiques, vol. 13 n°1, p. 164-169, 1986), et les contributions de Denis Collin et Michel Henry (La théorie de la connaissance chez Marx).

1Lohoff

2 TODO BAROT

3La Sainte Famille, Chapitre VI, III, PL3, p. 568.

4Denis Collin, La théorie de la connaissance chez Marx, p.21.

5Ibid.

6Collin, p. 21.

7Denis Collin, p. 41.

8Voir Jon Elster, Karl Marx, une interprétation analytique, p.19.

9Denis Collin, p. 40

10Heinrich, p. 155

11Voir à ce sujet, Heinrich, p. 157, Althusser, Pour Marx.

12 Heinrich 118.

13Voir Kratz, Steffen, Philosophie und Wirklichkeit. Die junghegelianische Problematik einer Verwirklichung der Philosophie und ihre Bedeutung für die Entwicklung der Marxschen Theorie. Dissertation. Bielefeld, 1979, S. 173.

14Heinrich, Ce qu’est le Capital, p.15 n.